lundi 30 mars 2020

Covid 19 : faut-il "couper les dividendes ?"

Il y a quelques jours, le ministre de l'économie, Bruno le Maire, a suggéré aux entreprises, "notamment les plus grandes, de faire preuve de la plus grande modération sur le versement de dividendes".

Voici son tweet





Quelques jours plus tard, Bruno le Maire a renforcé son propos en affirmant que "Toutes les grandes entreprises qui auraient bénéficié de reports de charges sociales et fiscales et qui versent en même temps des dividendes devront rembourser cette avance de trésorerie de l’État avec des pénalités d’intérêt". 





Autrement dit, entre report de charges fiscales et distributions de dividendes, il va falloir choisir.

Le débat que pose le ministre de l'économie, c'est celui de la distribution du profit.

Mais, tout d'abord, qu'est ce qu'un dividende ? Selon le Larousse, les dividendes sont la part des bénéfices nets d'une société versée aux actionnaires, à la fin de chaque exercice, selon un montant fixé par l'assemblée générale.

Et selon le Vernimmen, le dividende a pour objectif premier de rendre aux actionnaires des fonds qui ne trouvent plus à s’investir dans l’entreprise à un taux de rentabilité qui correspond au moins au coût du capital, évitant ainsi de détruire de la valeur

Autrement dit, la distribution des dividendes est une décision des actionnaires, les propriétaires de l'entreprise, dans le cadre d'un arbitrage entre réinvestissement ou réallocation du capital. 

En général, les entreprises n'attendent pas les directives de tel ou tel ministre pour évaluer l'opportunité de réinvestir les profits ou de les redistribuer. 
Par exemple, les entreprises à très forte croissance, type Amazon, ne distribuent pas de dividendes
En revanche, les entreprises plus matures, type Exxon Mobil, ont tendance à adopter une politique de distribution de dividendes

Est ce que, comme le sous entendent les propos du ministre de l'économie, les dividendes seraient une sorte de rémunération indue ? 

En tout cas, on se souvient du fait qu'une partie de la communication gouvernementale autour de la privatisation de la Française des Jeux tournait autour de la notion de rentabilité, de stabilité et d'investissement long terme soutenu par des dividendes. La mobilisation de l'épargne des petits porteurs, rassemblés autour du projet de capitalisme populaire, passait par la. 

On se souvient également du fait que quand l'Etat est actionnaire d'une entreprise, il a tendance, en tant que membre du conseil d'administration, à voter pour des politiques de dividendes plus généreuses (1) que celles en vigueur chez leurs comparables. 
La Cour des Comptes l'affirme clairement : "de nombreuses entreprises dont l’État est actionnaire (neuf entreprises sur douze des plus grandes entreprises suivies par l’Agence des participations de l’État) ont affiché en 2014 des taux de distribution des résultats plus élevés que la majorité des entreprises du CAC 40." 

Est ce que, du fait du ralentissement économique qui se traduira aussi par une baisse des recettes fiscales, l'Etat, largement acteur au sein du CAC 40 (voir CAC 40, who owns what ? un post du 14 février 2020) va renoncer à des milliards d'euros simplement pour donner l'impression qu'il ne laissera pas l'indécence qui consisterait à laisser s'exercer librement l'article 2 de la DDHC, l'article 544 du Code Civil ou encore l'article L232-12 du Code de Commerce, tous relatifs au droit de propriété ?

Souvent, on lit des comparaisons du type "dans le partage des profits, les actionnaires reçoivent les 2/3 et les salariés moins du 1/3". Mais n'est-il pas logique que la rémunération des salariés soit liée non pas aux profits, mais bien à l'activité de l'entreprise et qu'ils touchent un salaire et non pas une part des bénéfices ?

Dans la plupart des entreprises du CAC 40, les salaires et charges sociales sont évidemment sans commune mesure avec les dividendes.
Par exemple, en 2018, les 158 000 salariés d'Engie ont reçu 10,7 milliards d'euros en salaires, quand les centaines de milliers d'actionnaires (dont l'Etat français) ont reçu 1,9 milliards d'euros pour la possession de leurs actions.

Le niveau des dividendes devrait donc être le fruit d'une réflexion entre les actionnaires et le conseil d'administration de l'entreprise. Après, si l'Etat, par son actionnariat, ne craint pas la contradiction et estime que Engie, Renault ou ADP ont des projets d'avenir, dans leur secteur et dans leur champ d'expertise, malgré le réchauffement climatique que ce même Etat cherche à combattre, il peut effectivement suggérer, via les conseils d'administration respectifs, de modérer les dividendes pour pouvoir financer des nouvelles usines.

Enfin, n'oublions pas que si les dividendes sont fortement, en France, liés aux plus grandes entreprises, le CAC 40, ils ne sont pas l'apanage de celles ci. Les PME, y compris les boulangeries de quartier qui dégagent des marges nettes dignes de LVMH, distribuent aussi des dividendes qui constituent une part substantielle de la rémunération des entrepreneurs.




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