mercredi 3 octobre 2012

Noire Finance - la grande pompe à phynances




Apparemment, Arte TV tient son créneau. Après la diffusion du reportage sur Goldman Sachs, hier c,'était Noire Finance, de Jean-Michel Meurice et Fabrizio Calvi

Le but était noble : expliquer pourquoi nous sommes en crise. Malheureusement, quelques oublis viennent détruire l'argumentation de ce reportage pour qui tout est de la faute des financiers. 

Déjà, le reportage fait comme si il ne devait jamais y avoir de crise. Or, tout ce qui monte peut descendre. Ensuite, spécifiquement sur la crise de 1929 qui est abordée dans Noire Finance, certes on peut souligner les magouilles des sociétés de brokerage d'actions, comme JP Morgan ou Goldman Sachs, qui pratiquaient allègrement le front running. Mais jamais les journalistes n'abordent les théories alternatives à la vision mainstream d'une crise liée uniquement à la spéculation boursière. 

  • le rôle du développement technologique n'est pas abordé
  • l'impact de la politique monétaire, fiscale et douanière est ignoré (lire à ce sujet Les vérités sur la crise de 1929 de Florin Aftalion, professeur à l'ESSEC) 
  • la faute de la France, qui a demandé des réparations insupportables pour l'Allemagne, n'est pas mentionnée. Or, on sait que l'hyper inflation allemande de 1923 est liée à ces réparations (lire la Tribune)


Ensuite, Noire Finance passe un peu vite sur le keynésianisme des années 30, et ne relève même pas la contradiction qui consiste à ce que chacun célèbre les grands travaux US mais pas ceux d'Allemagne. Des économistes comme Jean-Marc Daniel (lire son interview dans le Nouvel Economiste), Fabrice Descamp (cf Contrepoints) ou Loic Abadie démontrent que Keynes tient autant du mythe que de la réalité, si ce n'est plus. En réalité, il n'est pas possible de dire que le keynésianisme a sorti les Etats Unis de la crise de 1929.

Nanterre, 1960, source http://pottier.jean.free.fr
Après cela, Noire Finance tombe dans un travers très fréquent dans l'opinion, celui d'idéaliser les 30 Glorieuses et leur soi-disant harmonieux développement d'une "économie mixte". Or, les 30 Glorieuses sont une période d'énormes déséquilibres. Déjà, rien qu'en ce qui concerne le chômage  on nous parle souvent d'une période de plein emploi. Mais quid du taux d'activité ? Le taux de chomage, c'est facile, c'est le nombre de non employés qui cherchent à l'être par rapport à la population active. Mais quel est le taux de personnes actives par rapport à la population totale ? Les années 50 et 60, c'est aussi une économie alimentée par un baril à 1$ (lire les analyses de Jean-Marc Jancovici), et des bidonvilles aux portes de Paris. le niveau de vie des 30 glorieuses a progressé en Occident très fortement, mais il partait de zéro, et a été alimenté par une énergie bon marché, sans compter les gains de productivité liés à l'industrialisation.

Quand Noire Finance aborde la fin de Bretton Woods, le 15 Août 1971, on pense qu'ils vont se lancer dans une apologie du gold standard. Il n'en n'est rien. Noire Finance enchaîne alors sur les années 80 et la deregulation initiée par Ronald Reagan et Margaret Thatcher, en la mettant en parallèle avec la désindustrialisation liée aux fermetures d'usines. Il y a plusieurs choses à dire à ce sujet. Déjà, la désindustrialisation a t-elle été poussée par la finance, ou bien par la concomitance du début du vieillissement d'une population qui avait successivement remis en cause "le compromis fordiste" et les méthodes tayloristes dans l'industrie depuis les années 60 et l'émergence de nouvelles nations industrielles (Corée du Sud, Japon). Était-il écrit que seuls les ouvriers syndiqués d'Europe et des Etats-Unis avaient droit à un travail, dans ce monde ? Où bien l'évolution faisait-elle partie du cycle naturel de la vie économique ? On peut également sourire devant l'argument d'avidité des financiers, libérés  dit-on, de tout entrave suite au Big Bang de la City en 1986. Cela voudrait-il dire que les salariés des autres secteurs ne sont pas avides et travaillent uniquement pour la gloire ?

Noire Finance analyse ensuite le phénomène de bulle (notamment la bulle Internet). Certes, son éclatement a fait mal. Mais les milliards d'euros et de dollars qui l'ont alimenté ont permis non seulement de transformer le monde mais aussi de rapprocher les gens. L'Internet existe, et il a impacté la façon dont chacun travaille et communique. Les actionnaires ont tout perdu, mais la révolution Internet s'est faite. De plus, le développement du secteur financier a contribué à l'économie dite réelle. Non seulement les banques sont de gros employeurs tout comme la sidérurgie a pu l'être à un moment (en France, toutes professions et secteurs confondues, 1 million de gens sont employés dans la finance ou à une fonction financière, d'après les chiffres du Centre des Professions Financières) mais en plus la finance est consommatrice de biens et de services réels tels que l'informatique.

Noire Finance s'abstient enfin de critiquer la politique monétaire expansionniste de la FED après les attentats du 9/11, les lois incitatives en faveur du crédit subprime (Community Reinvestment Act de1995) ou l'abolition du Glass Steagall Act en 1999 pour se concentrer sur la titrisation, une technique pourtant banalement inspirée des méthodes de gestion des compagnies d'assurance : elles évitent de n'assurer que des jeunes célibataires conducteurs de voitures sportives mais diversifient leur risque. D'ailleurs, la titrisation fait partie de la solution à la crise actuelle.

On nous dit "Sidérée de la cécité de ses sujets économistes, la Reine leur a demandé pourquoi ils n'avaient pas anticipé la crise bancaire. Réponse de la British Academy: il s'est agi avant tout d'un "échec de l'imagination collective de nombreux individus brillants", qui n'ont pas été capables de "cerner le risque touchant l'ensemble du système". A question royale; osons une autre question, plus iconoclaste : La Reine a t-elle interrogé les bons économistes ? Comment se fait-il que certains aient bénéficié de la crise, en profitant de prévisions pessimistes pour shorter les bons actifs au bon moment ? Y avait-il des économistes autrichiens au sein de la British Academy, par exemple ? 

Il n'y a qu'un seul vrai problème que Noire Finance a soulevé : le problème d'aléas moral des banques systémique, too big to fail. Comment faire en sorte qu'une banque en difficulté soit liquidée par une faillite ordonnées plutôt que sauvée avec de l'argent public, comme ce fut le cas au Royaume Uni et en Angleterre ?  Notons, à titre de parenthèse, que Noire Finance a certainement semé le trouble parmi les téléspectateurs en laissant penser que toutes les banques ont toutes reçu de l'argent public depuis 2008. En France, seules le Crédit Immobilier de France et Dexia ont bénéficié de la protection publique. Les autres, BNP Paribas, Societe Generale, Crédit Agricole, se sont vus octroyés, de manière vivement recommandée, des prêts qu'elles ont remboursé depuis contre un intérêt élevé. En fait, Noire Finance n'a pas réussi à émettre l'idée que, de manière plus large, il faut envisager qu'une banque puisse faire faillite, comme n'importe quelle entreprise, même si dans le pire des cas l'argent de clients puisse être perdu. Tous les ans, des promoteurs immobiliers ou des compagnies aériennes disparaissent, en emportant les avances des clients, sans que cela n'émeuve plus que cela. Noire Finance a cité le cas LTCM mais a oublié de dire qu'en réalité, les entités les moins régulées de la finance, les hedge funds, ou des banques ne dépendant pas du tout des Etats, ont, elles, bien traversées la crise. L'aléas moral existe parce qu'il existe une sorte de garantie implicite des Etats sur les banques en particulier et les grandes entreprises en général. Ne conviendrait-il pas de faire disparaître cette garantie implicite pour faire émerger des comportements plus responsables ?

Les banquiers Jean Peyrelevade et Guillaume Hannezo, les économistes Michel Aglietta et Paul Jorion ne l'ont peut-être pas assez mentionné, mais le monde a changé depuis 2008. Les actionnaires de la SG, Citigroup ou UBS ont perdu leurs économies, le top management a changé, le trading a été encadré, les bonus ont été réduits ou supprimés, les employés ont été licenciés, mais nous ne sommes pas pour autant sortis de crise. Pourquoi ? Parce que la crise actuelle, qui ne concerne d'ailleurs pas la terre entière, est celle des finances publiques. Toute l'histoire de la finance des années 80 à aujourd'hui est celle de dettes publiques en quête d’acquéreurs et de retraités en quête de rendements. Toute la question pour les politiques consiste maintenant à faire comprendre le fait que la finance est un outil, qui, dans le cas précis, a permis de repousser la question du nécessaire ajustement du train de vie des Etats. Posons la question autrement : est-il logique que, alors que les Etats Européens ne sont pas en guerre, la dette et les deficits publics atteignent des montants jamais observés en temps de paix ? La nécessaire poursuite de la restructuration du secteur financier ne doit pas occulter les questions de fond.

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